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Book Chapter
Peer Review
La postface au Serment du Jeu de Paume de John Ashbery
Book Title
Le serment du Jeu de Paume
Book Author(s)
John Ashbery
Book Editor(s)
Trans. Olivier Brossard
ISBN
978-2-7143-1148-1
Number of Pages

144

Le serment du Jeu de Paume : la poésie décontenance

Terreau et non bourbier

Au sujet du livre The Tennis Court Oath paru en 1962 chez Wesleyan University Press, le critique Harold Bloom s'agaçait en 1973 : « Comment John Ashbery a-t-il pu s'enliser dans un tel bourbier… six ans à peine après Some Trees, et comment a-t-il bien pu réussir à s'en tirer pour ensuite écrire Rivers and Mountains ». [1] Cette réaction virulente reflétait la perplexité de certains des premiers lecteurs de John Ashbery à la publication de son deuxième livre. Il est vrai que le premier, Some Trees, avait été choisi par W. H. Auden comme lauréat 1956 du prestigieux prix littéraire Yale Series of Younger Poets. [2] Six ans après, à la publication de son deuxième livre, John Ashbery était un jeune poète américain vivant à Paris, inquiet à l'idée que ses poèmes ne trouvent pas de lecteurs. [3] Avant ses deux premiers livres, il avait écrit un livret d'une vingtaine de pages, Turandot and Other Poems, publié dans un tirage confidentiel en 1953 par la galerie Tibor de Nagy, première « maison » des jeunes poètes Frank O'Hara, Kenneth Koch et Barbara Guest. Le galeriste John Bernard Myers allait affubler le petit groupe d'amis du titre de « poètes de l'école de New York », en raison de leurs amitiés et collaborations avec les peintres expressionnistes abstraits et avec ceux de la jeune génération, plus figurative, des années cinquante comme Jane Freilicher ou Larry Rivers. John Ashbery n'a jamais apprécié cette appellation qu'il juge artificielle, d'autant qu'il n'est resté que quelques années à New York après la fin de ses études à Harvard en 1949, partant dès 1955 vivre à Montpellier, à la faveur d'une bourse Fulbright, pour ensuite s'établir à Paris jusqu'en 1965.

Arrivant en France avec l'intention d'abord de traduire une anthologie de poésie contemporaine française puis, ensuite, en 1957, celle d'écrire une thèse sur Raymond Roussel, John Ashbery a abandonné l'aspect universitaire de ce dernier projet, sans pour autant renoncer à sa passion pour Roussel qu'il a traduit et contribué à faire connaître aux États-Unis. Lors de sa période française, John Ashbery a été journaliste et critique d'art pour le New York Herald Tribune ainsi que pour Art International et ARTNews dont il a été le correspondant. Menant un travail important de traduction de poètes français, collaborant avec Harry Mathews à la publication de la revue Locus Solus (1961-1962), John Ashbery a profité de ses années françaises pour explorer de nouvelles voies poétiques, dont celle du collage :

[…] au début à Paris, […] j'éprouvais une certaine difficulté à écrire car je n'étais pas plongé dans la langue parlée américaine, élément essentiel pour ma poésie. À la place donc, j'achetais des revues américaines comme Esquire et Time, et je m'essayais au collage en ouvrant ces revues et en posant mon doigt au hasard sur une phrase que je recopiais ensuite pour l'inclure dans le poème. Mais, je ne la découpais pas à proprement parler… À la même époque à Paris, William Burroughs et Brion Gysin faisaient leurs célèbres cut-ups, et je crois même qu'à un moment la question s'est posée de savoir qui avait fait quoi d'abord. Je n'étais pas au courant de leurs cut-ups et ne l'ai pas été pendant plusieurs années après cela, et eux de leur côté ignoraient tout de mes activités. [4]

Si l'on se demande donc, avec Harold Bloom, ce qui a bien pu se passer pour que John Ashbery passe du style tantôt narratif tantôt méditatif de Some Trees aux excitations verbales du Tennis Court Oath, peut-être les années de formation littéraire en France constituent-elles une première réponse.

Au « bourbier » d'Harold Bloom dont l'agacement s'expliquerait, selon certains, par la résistance du recueil à sa théorie sur l'œuvre du poète, préférons « terreau », mot emprunté au livre : [5] en effet, si certains critiques ont décrié The Tennis Court Oath, si John Ashbery lui-même a émis quelques doutes sur sa place dans son œuvre, [6] nombre d'écrivains, de poètes et d'artistes y ont vu une nouvelle ouverture du champ poétique, une permission de donner libre cours aux expérimentations littéraires. Les poètes du mouvement L=A=N=G=U=A=G=E ont salué une radicalité verbale et littérale nouvelle, la « critique de la clarté et de la transparence » [7] menée par les poèmes. Au festival littéraire de La Baule en 2014, Bill Berkson se souvenait de l'effet produit sur lui par la publication du long poème disjonctif « Europe » dont il a reconnu qu'il l'avait incité à se lancer dans le « jeu de poussé-tiré » des mots dans sa propre écriture. Les témoignages pourraient être ici multipliés à l'envi et il y aurait matière à un ouvrage collectif de poètes, écrivains et artistes témoignant de leur dette joyeuse à l'égard du Tennis Court Oath. Terreau et non bourbier ; surgissement et non enlisement ; naissance et non fin : voici le parti-pris de cette postface sur ce livre dont la publication, je le crois, est l'un des événements majeurs de la poésie américaine du xxe siècle.

Titre de transport

John Ashbery raconte comment, après avoir réuni assez de poèmes pour constituer un manuscrit, l'idée du titre lui est venue :

Un jour d'été 1960, j'étais dans le bus qui passe devant le Jardin du Luxembourg […]. Des gens vêtus tout de blanc y jouaient au tennis, ce qui m'évoqua Le serment du Jeu de Paume, ce rassemblement à Versailles qui déclencha la révolution. Je fus intrigué par le contraste entre les circonstances apocalyptiques de cet événement historique et le tableau ensoleillé, presque pastoral, de ces Parisiens qui jouaient au tennis. Un peu plus tard, quand j'eus écrit suffisamment de poèmes pour pouvoir en faire un livre, je me demandai quel titre j'allais lui donner : c'est alors que l'événement historique me revint à l'esprit. Je n'avais néanmoins pas écrit de poème de ce nom. Je m'y essayai quelque temps puis finis par choisir un poème déjà écrit pour en changer le titre et lui donner celui de « The Tennis Court Oath ». [8]

La traduction du titre s'est donc imposée : cela ne pouvait être que Le serment du Jeu de Paume ; pas une traduction, mais un retour vers l'original. Au-delà du caractère fortuit du choix de ce titre par le poète, il convient de bien en saisir la portée et l'effet pour un lecteur américain au début des années soixante. Ce livre porte un titre d'exil, il offre la mesure d'une distance éprouvée par le jeune poète entre la vie qu'il peut mener à Paris avec son compagnon Pierre Martory (à qui Le serment est dédié), et l'Amérique des années cinquante laissée derrière lui, jugée conformiste, étouffante, répressive. Si pour nous lecteurs français le titre dégage un parfum de vieux livre d'histoire, pour un lecteur américain il aura (eu) l'exotisme du vieux continent. Et avant tout, il est pour lui, dès la couverture, gage de surprise. On pourrait s'étonner que le terme « jeu de paume » n'ait eu de « meilleure » traduction – ou tout du moins de traduction que l'on jugera moins prosaïque – que « tennis court ». Peut-être parce que nous avons en français les deux expressions, « court de tennis » et « jeu de paume », le premier exprimant le terrain moderne, le second son ancêtre historique et l'événement fondateur qui lui est lié. Pour le lecteur américain, dont il n'est pas sûr qu'il ou elle connaisse bien les circonstances du 20 juin 1789 (pas plus que nous Français ne connaissons précisément celles de la révolution américaine), les deux premiers mots du titre en anglais peuvent, l'espace d'un instant, laisser penser qu'il s'agit d'un livre sur le tennis. Pour qui n'a pas encore ouvert le livre, le titre anglais promet d'abord le cadre récréatif d'un sport et de son lieu avant de terminer de façon abrupte sur la solennité d'un acte d'engagement. En faisant le simple choix de cet événement historique, et ce qu'il suppose à travers la traduction et la (mé)connaissance des contextes culturels et historiques, John Ashbery joue d'emblée sur la tension entre le lieu et l'occasion (the tennis court) et ce qui s'y joue, ce à quoi il se prête (the oath). Comme si, dès la couverture, et sans avoir l'air d'y jouer, le titre était le reflet inversé de ce qui va se passer dans le livre : le saccage par le poète de l'espace sacralisé du « recueil de poèmes » par une parole poétique qui refuse sa solennité et son apparat. John Ashbery ne prête pas serment dans son livre qu'il transforme, au contraire, en air(e) de jeu.

Mais de quoi s'agit-il au juste ? Quel est ce serment ? Suite à la tenue des États généraux à Versailles les 4 et 5 mai 1789, le roi s'opposant aux demandes des députés du Tiers État, ces derniers et ceux ralliés à leur cause se proclament Assemblée nationale le 17 juin. Quand, le 20 juin 1789 trois cents députés du Tiers état, du clergé et de la noblesse veulent se réunir, ils trouvent porte close et se réunissent dans la salle du Jeu de Paume où ils font le serment de ne pas se séparer avant l'élaboration d'une constitution. Ce serment ouvre la voie à la création d'une Assemblée Nationale Constituante regroupant les trois ordres. Mais n'est-ce pas là excès de précisions historiques pour un livre qui ne relate pas l'histoire de France, pas plus que le poème homonyme ne fait allusion aux événements de la révolution française ? N'est-ce pas se perdre dans trop de détails alors que l'idée est venue à John Ashbery à la simple et idyllique vision de Parisiens jouant au tennis, aux abords du Sénat, contraste saisissant avec le souvenir « [d]es circonstances apocalyptiques de cet événement historique » ? Certes : qui voudrait trouver dans le livre de John Ashbery un livre d'histoire(s), avec ou sans majuscule, au singulier ou au pluriel, serait bien mal préparé à ce qui se joue sur les pages. Néanmoins, le rappel des circonstances historiques permet de comprendre d'emblée un principe à l'œuvre dans le livre, déjà illustré par le choix d'un titre traduit du français : celui du déplacement. The Tennis Court Oath est un livre qui ne tient pas en place : jusque dans ses circonstances historiques les plus précises, faire le serment du Jeu de Paume revient à « ne pas être à sa place ». Le Tiers État refuse de rester à la sienne, les députés, à qui on refuse le droit de se réunir, se déplacent vers une autre salle de réunion, elle-même vouée aux déplacements des joueurs sur le terrain. Ce moment que l'histoire a donc retenu comme l'immuable fondation de la nation, le scellement de liens solides et durables, n'est que mouvance, ou si l'on veut traduire en termes littéraires, métaphore.

Le serment du Jeu de Paume : le titre français est si sédimenté qu'il en est abstrait, faisant disparaître de façon ironique les protagonistes de l'histoire. Car l'événement marque la naissance de la représentation démocratique en France ; le langage qui le porte – ou tout du moins qui en fait parvenir le souvenir jusqu'à nous – est marqué par la possibilité de la trahison. Ce n'est pas le jeu de paume qui prête serment, ni même les joueurs mais les députés qui se trouvent sur le court le temps d'une réunion : disparition des circonstances particulières de l'événement. Si bien que la question que pose le choix de ce titre, en lien intime avec l'entreprise du poète, est celle de la représentation : dire à quelqu'un de dire ; dire aux mots de dire. Il s'agit de croire à la représentation tout en ayant conscience de ce qu'elle est, de son imperfection, ses régimes inconstants et sa géométrie variable (le concret-l'abstrait, le particulier-le général) et son inévitable infidélité. Quelle parole pour dire le peuple, quelle parole pour dire le monde, quelle parole pour me dire ? Ces interrogations lancées par le livre, insistantes bien que discrètes, sont aussi philosophiques, littéraires que politiques. Et le livre de John Ashbery n'est un bourbier que si l'on ne voit pas qu'il s'agit d'une entreprise de critique radicale du langage, au sens où l'entend Roland Barthes, « cet objet en quoi s'inscrit le pouvoir, de toute éternité humaine […] ou pour être plus précis, son expression obligée : la langue. » [9] Dans le même souffle, lors de sa leçon inaugurale au Collège de France en 1978, Roland Barthes développait son idée en des termes qui feraient une magnifique épigraphe au livre de John Ashbery :

Le langage est une législation, la langue en est le code. Nous ne voyons pas le pouvoir qui est dans la langue, parce que nous oublions que toute langue est un classement, et que tout classement est oppressif […] Parler, et à plus forte raison discourir, ce n'est pas communiquer, comme on le répète trop souvent, c'est assujettir : toute la langue est une rection généralisée. [10]

Par la virtuosité de ses expérimentations, Le serment du Jeu de Paume oppose, poème après poème, une fin de non-recevoir à cette « rection » que l'on doit comprendre à la fois politiquement comme le pouvoir de la langue qui dirige, et littérairement comme la façon dont la grammaire détermine la langue. De ce point de vue, le choix du titre n'est pas anodin : Le serment du Jeu de Paume est un livre politique, comme la grammaire (ou le fait de jouer, de tricher avec) est politique au sens où il engage ce que Roland Barthes appelait « une responsabilité de la forme ». [11]

Des députés nus à George Washington barbouillé

On entrevoit l'ironie de John Ashbery à l'égard du pouvoir et de l'autorité lorsqu'il raconte que son intérêt pour Le serment du Jeu de Paume était suscité par le souvenir des études préparatoires de Jacques-Louis David pour sa toile : on y voit des hommes nus se serrer la main, se congratuler, prendre des poses théâtrales. [12] Les dessins préparatoires dont celui qui orne la couverture de la présente édition rappellent ainsi les détenteurs du pouvoir et de la parole publique à leur condition de simples corps. De la couverture de l'édition originale de 1962, John Ashbery écrit : « J'avais espéré qu'ils utilisent un des dessins préparatoires de Jacques-Louis David pour son immense toile Le serment du Jeu de Paume. Il avait apparemment l'habitude de dessiner d'abord des personnages dans le plus simple appareil pour ensuite ajouter leurs habits. Sur ces dessins on voit des hommes nus sauter de joie et agiter leurs chapeaux, ce qui crée un effet pour le moins étrange. » [13] Outre l'amusement que lui procure l'aspect cocasse de certains de ces dessins – contraste entre la solennité émue de ces pères de la démocratie et leur nudité dérisoire – je crois que l'intérêt de John Ashbery pour eux, comme pour la toile monumentale de David, tient au fait qu'ils sont inachevés et que se joue là une tension entre le plein et le vide (sur la toile certains visages sont finis, peints en couleurs, d'autres à peine esquissés, comme invisibles, flottant au-dessus d'un corps évanescent), entre le concret et l'abstrait, entre le trait définitif et l'incertitude de l'ébauche. On a beaucoup parlé de l'influence des peintres sur l'œuvre de John Ashbery, notamment sur Le serment du Jeu de Paume : certains critiques évoquent à raison l'importance des peintres expressionnistes abstraits et leur engagement vigoureux sur la surface de la toile, le jeu de « pousser tirer » qui s'y fait jour ; d'autres, en commentant le poème « Le nouveau réalisme », pensent au Pop art, au minimalisme et à la célébration des techniques de (re)production des images.

Si on ne peut douter des affinités entre l'écriture de John Ashbery et ces révolutions picturales, il me semble néanmoins que c'est l'œuvre de Larry Rivers qui se rappelle à notre bon souvenir et s'impose à notre œil lorsque l'on voit et lit Le serment du Jeu de Paume. Il ne s'agit pas d'affirmer que John Ashbery a écrit son livre en pensant à son ami Rivers, peintre représenté par la galerie Tibor de Nagy, celle-là même qui avait publié les premiers livres et plaquettes des jeunes poètes new yorkais. Mais comme par illusion anachronique, lorsqu'on observe la toile du Serment du Jeu de Paume, inachevée en raison d'un malheureux concours de circonstances, l'on se prend à imaginer qu'elle aurait pu être peinte par Larry Rivers, tant le jeu entre la figuration et l'abstraction des personnages abandonnés semble aujourd'hui moderne et « rappelle » certaines des toiles du peintre américain comme The Studio (1956) ou The Last Civil War Veteran (1959). [14]      Mais je veux surtout ici lire le choix par John Ashbery de son « sujet » du Jeu de Paume dans le sillage du tableau George Washington Crossing the Delaware de Larry Rivers : peinte en 1953, cette toile prend comme sujet la périlleuse traversée par les troupes du général George Washington du fleuve Delaware dans la nuit du 25 au 26 décembre 1776 avant l'attaque victorieuse de la ville de Trenton. Cet événement historique avait déjà fait l'objet d'une première représentation par le peintre Emanuel Leutze en 1851.La toile de Leutze est conservée au Metropolitan Museum of Art à New York. Quand, après avoir lu Guerre et Paix de Tolstoï, Larry Rivers décida en 1953 de peindre « la toile la plus controversée de son époque », [15] alors que New York vivait la période dite « héroïque » de l'expressionnisme abstrait, il savait qu'il choisissait un sujet si historique et si académique qu'il en était presque pompier. Le traitement par Rivers de son sujet historique – le général, certes représenté au centre de la toile, voit son visage réduit à quelques maigres traits, ses troupes tantôt esquissées, tantôt fondues dans le paysage, fantômes sans visages sur la glace – créa une telle surprise et un tel engouement que Frank O'Hara lui consacra un poème où il évoque « les spiritualités jalouses de l'abstraction », ce qui part « en fumée, volutes qui s'élèvent / de l'événement physique. » [16] Ce qu'évoque O'Hara dans son poème c'est la mise en scène par Rivers du tiraillement entre le concret et l'abstrait, le figuratif et l'abstraction, le corps et sa dissolution : l'événement historique lui-même, qui menaçait d'être si encombrant, disparaît, se retire, laissant le devant de la toile à la manière du peintre.

Le choix par John Ashbery d'un événement historique tout aussi fondateur et canonique – au point qu'il pourrait en être pompier – pour le titre de son livre peut se comprendre dans le sillage du tournant opéré par Larry Rivers en peinture américaine. Les trois premiers vers du Serment en sont le meilleur avertissement, le premier posant la question même du sujet, du « quoi », le second barbouillant de sang un visage à qui on refuse toute description, le troisième versant déjà dans une juxtaposition abstraite de mots : « A quoi avais-tu pensé tout ce temps / le visage soigneusement ensanglanté / éden gâté région ». Je ne saurais affirmer que John Ashbery fait la même chose dans ses poèmes que Larry Rivers sur sa toile, la simple différence entre les matériaux littéraires et picturaux excluant toute équivalence trop étroite. Rivers et Ashbery ont néanmoins à l'égard de l'histoire et de la représentation des attitudes proches. George Washington et les premiers députés français ; le Delaware et une salle de jeu de paume à Versailles et, sur la toile comme dans le poème, « le mouvement qui déplace les lignes ».

De beaux échanges

Le déplacement auquel John Ashbery ne pouvait manquer de penser en choisissant le titre de son livre est celui de la traduction. Le poète aura beau dire que l'idée lui en est venue au hasard d'un trajet en autobus, pour quelqu'un qui connaît aussi bien le français ce choix n'était en rien innocent tant il témoigne des nombreuses allées et venues entre les deux langues. Performatif, le titre du livre est à lui seul un jeu, un bel échange entre l'anglais et le français. Si l'on peut d'abord s'étonner que le terme « jeu de paume » ne trouve d'autres équivalents que « tennis game » ou « tennis court », évoquant davantage Roland Garros ou Wimbledon que Versailles, l'on apprend ensuite que le mot « tennis » remonte au xve siècle, tenys signifiant « paume (jeu) », et qu'il est dérivé de la deuxième personne du singulier du pluriel de l'impératif du verbe tenir : « Tennis est emprunté (1824) à l'anglais tennis, d'abord nom donné au jeu de paume, emprunté au xive s., sous la forme tenetz acclimatée en tennes, teneys, tenys, tenise puis tennis, au français tenez, impératif de tenir, exclamation du serveur dans ce jeu. » [17]

L'histoire de ce va et vient linguistique entre le français et l'anglais n'était sans doute pas étrangère au jeune poète américain écrivant son deuxième livre en France, en anglais, de façon à éprouver son rapport à sa langue maternelle depuis une terre étrangère. Ce qui est remarquable dans la traduction anglaise du Serment c'est que l'organe physique, la paume, disparaît en anglais au profit du geste, du mouvement à venir, de la balle qu'il va falloir attraper, peu après que l'on s'entend dire « tenetz ! » J'ai envie de lire dans cette traduction le passage à une poétique du geste dans le livre de John Ashbery : il ne s'agit pas de garder la balle, mais de faire le bon mouvement pour l'attraper et la renvoyer. Ce sont les échanges entre les joueurs, entre les mots, entre le livre et le lecteur qui sont ainsi annoncés. Enfin, et cela John Ashbery ne pouvait non plus l'ignorer en excellent traducteur qu'il était déjà à l'époque, le passage du titre français au titre anglais fait apparaître quelques différences essentielles entre la malléabilité de l'anglais, langue agrégative, et l'articulation parfois raide du français qui s'adjoint le secours d'articles et de prépositions pour relier les mots entre eux : « Tennis » détermine « court », puis « tennis court » détermine « oath » dans un jeu d'enchâssement, le tout étant précédé de l'article « the » ; en français, on ne commence pas par le jeu, mais par « Le serment » qui doit s'aider de l'article défini contracté « du » pour rejoindre le « jeu » séparé de la « paume » par la préposition « de ». L'anglais colle ; le français articule. Or l'une des hypothèses que j'aimerais ici lancer au lecteur – née de difficultés que j'ai éprouvées comme traducteur – c'est que le jeune poète américain a volontairement fait rentrer dans la langue américaine de ses poèmes la rectitude du français, son incessant ballet d'articles et de prépositions. Il n'est pas nécessaire de s'avancer très loin dans le livre pour buter sur une syntaxe dont on se demande, à la lecture en anglais, si elle n'est pas déjà traduite du français – ou tout du moins si elle ne veut pas parfois donner l'impression de ce que l'on appelle translationese, ce qui sonne comme une traduction.

Faire quelques balles

Tennis, jeu de paume : l'objet de toutes les convoitises, la balle, est absent des noms du jeu. Pourtant, quand le lanceur s'écriait « tenetz », il sous entendait bien évidemment la balle lancée à l'adversaire. « Tenetz ! » est une invitation à recevoir, relancer, ne pas garder. J'aimerais lire dans l'absence de la balle, dont le joueur doit au plus vite se débarrasser, sous peine de perdre, celle de l'objet (ou du complément) dans d'innombrables phrases ou vers du livre : le lecteur, s'engageant dans une phrase entamée par un sujet suivi d'un verbe, se voit parfois opposer une fin de « non-recevoir » par le poème qui ne lui livre pas de complément d'objet. La question qui se forme alors sur les lèvres est « quoi » ? Dès le titre, on peut lire l'intérêt du poète pour le « lancer » du langage et son refus de céder au principe de transitivité : les vers ou les phrases ne mènent pas toujours quelque part, ou à quelqu'un ou à quelque chose de concret. Le joueur lance la balle et, comme dans certains dessins animés dont John Ashbery est friand, elle ne retombe pas, ou alors elle retombe des kilomètres et des heures plus tard. Pourtant, la balle (« ball ») est bien présente dans le livre et elle revient au fil des pages ; sans que ses occurrences soient nécessairement celles d'une balle de tennis, il n'est pas absurde de les lire comme une invitation du poète au jeu. Le tennis est d'ailleurs mentionné à plusieurs reprises comme dans la section 59 du long poème « Europe » :

l'apercevant

son pantalon bouffant la lumière du jour sous l'auvent

à jouer au tennis avant que nous comprenions que le rêve final a été rasé

Aujourd'hui, bien sûr.

On peut se demander ce que signifie la partie de tennis ici, si ce n'est le simple fait, crucial, qu'elle se poursuive, que la conversation continue pour que tout soit encore possible. On retrouve dans cet extrait la tension qu'évoquait John Ashbery entre la vision joyeuse des joueurs parisiens et le souvenir du contexte troublé de juin 1789 : la futilité – mais aussi la nécessité – du jeu à l'épreuve d'un monde de violences et destructions.

Cette tension se concentre dans la célèbre première section d'« Europe » où l'on retrouve une « balle », néanmoins traduite par « boule » dans le contexte du chantier :

1.

Pour se servir d'elle

boule de construction

Le matin s'est nourri du

bois bleu pâle

de la bouche

impossible de comprendre

ressent vivement)

La « construction ball » du second vers est comme le négatif de ces boules de démolition que les machines agitent comme des fléaux sur les chantiers. C'est néanmoins un antonyme dont le sens est difficile à saisir : autant il est aisé de comprendre qu'une boule de destruction doit détruire par son impact l'endroit précis qu'elle vient frapper, autant l'idée d'une boule de construction est déroutante. Comment construire quelque chose avec une boule ou une balle, pour reprendre le terme anglais ? « Impossible de comprendre » semble répondre le poème ; la coïncidence de « ball » avec l'idée d'incompréhension fait écho à un autre poème du livre, « Rougeole », dont la première strophe nous indique ce qu'il convient de faire :

 

Il n'était plus du tout nécessaire que le monde soit divisé

En lapin, alors qu'il avait chassé le lièvre.

Il devait être

Pression, ainsi disparut de l'air.

Je comprends… accepter la balle.

Inspirer la peinture murale.

Elle limita la salle.

Exemple même de la transitivité perturbée du poème (et de la lecture), puisque l'attribut du sujet « il » lui est refusé au troisième vers ici cité (on ne sait pas ce qu'il devait devenir), le début de « Rougeole » offre néanmoins des pistes : comprendre, c'est peut-être accepter la balle de la conversation (« to start and keep the ball rolling » en anglais signifie commencer et soutenir une conversation) et la poursuivre comme on peut, ici en s'en remettant aux sons des mots (plus qu'à leur sens) tant les rimes (ball/wall/hall – balle/murale/salle) déterminent la progression du poème quand leur sens précis (lièvre ou lapin) justifient des séparations et des exclusions : il s'agit aussi donc de s'amuser avec la langue (« to have a ball », s'amuser en anglais) et avec la balle du discours et de toujours avancer, se déplacer.

Une étymologie ancienne fait venir le mot « balle » du mot « paquet » [18] : si la balle est métaphore du langage ou des mots dans le livre, on peut alors comprendre que John Ashbery s'intéresse autant sinon davantage à sa trajectoire et à son mouvement qu'à ce que ce petit paquet renferme, à ce dont la pelote est faite. Le joueur qui ne saura pas renvoyer la balle sera perdant, son embarras, littéral comme métaphorique, sera la marque de sa défaite.

Décontenancer

J'ai voulu jusqu'à présent lire le titre du Serment du Jeu de Paume au pied de la lettre et, de là, en explorer les sens métaphoriques, moins les sous-entendus que ce que l'on pourrait appeler les sur-entendus, les significations qui naissent de la rencontre entre un titre et une œuvre. John Ashbery indique que « [s]es titres n'ont pas souvent grand-chose à voir avec les poèmes eux-mêmes [… que] c'est une pratique littéraire qu'[il doit] à Wallace Stevens ». [19] Mais précisément le titre n'est pas un emballage extérieur qui pourrait être mis au rebut une fois le livre ouvert, il est le nom qui, dès qu'il est apposé sur la couverture, force une relation à ce qu'il nomme. Si, comme le dit Frank O'Hara, nommer c'est vouloir faire, [20] alors en choisissant The Tennis Court Oath le poète s'est engagé d'emblée sur certaines voies. John Ashbery a rompu avec l'ancien régime de la poésie américaine [21] et préparé sa propre révolution (qui aboutira aux chefs d'œuvre des années soixante-dix comme The Double Dream of Spring, Three Poems [Trois Poèmes] puis Self Portrait in a Convex Mirror [Autoportrait dans un miroir convexe]) [22] : pour autant, Le serment du Jeu de Paume n'est pas seulement un acte préparatoire, c'est un moment fondateur d'une esthétique. L'ancien régime c'est aussi, plus littéralement pour le poète, cette Amérique des années cinquante, cette société normée qui exclut ou passe sous silence ceux qui ne rentrent pas dans son rang pendant qu'elle produit à outrance, ce que Frank O'Hara a appelé « l'énorme béatitude de la mort américaine ». [23] Dans le souvenir de John Ashbery des « circonstances apocalyptiques de [l']événement historique » du serment du Jeu de Paume affleure aussi sans doute la perception d'un monde violent où s'affrontent égoïsmes et impérialismes.

Le terme qui me semble permettre de prendre la mesure et l'ambition de l'entreprise poétique de John Ashbery dans ce livre est le verbe « décontenancer » : si Le serment du Jeu de Paume a décontenancé ses lecteurs, c'est que l'acte de décontenancer est au cœur même de cette poétique. Décontenancer, c'est non seulement faire perdre contenance à quelqu'un, mais c'est aussi faire perdre contenance aux choses, les décomposer, démonter, les vider de leur contenu. [24] C'est, selon les termes de Barthes, la façon dont « le discours peut se dégager de tout vouloir-saisir » [25] : ne pas saisir, ne pas conserver la balle que l'on attrape, ne pas comprendre, ne pas faire comme si tout était déjà entendu. C'est aussi ne pas s'embarrasser, accepter d'abandonner ce que l'on croit savoir (y compris le fait de savoir lire), c'est oublier ce que l'on porte en soi, c'est se vider. C'est encore accepter d'apparaître nu, comme les députés de David, nu de toute attente, nu de de tout savoir (à supposer que cela soit possible). Décontenancer, c'est dégonfler un monde malade de ses excès et essayer d'y trouver une meilleure place pour soi.

Sur l'Auteur

Ce texte est la première partie de la postface au Serment du Jeu de Paume de John Ashbery publié en 2015 aux éditions José Corti à Paris. Republié avec l'autorisation de l'auteur et des éditions José Corti.

Renvois

[1] Harold Bloom, « The Charity of Hard Moments » (1973), John Ashbery, New York, Chelsea House, 1985, p. 52. Ma traduction.

[2] Dans un entretien en 2001, John Ashbery indique que ses deux premiers livres sont d'abord passés inaperçus. ;    néanmoins la critique a retenu la publication de Some Trees comme le premier jalon d'une œuvre magistrale. Olivier Brossard, « Entretien avec John Ashbery », Œil de Bœuf 22 (décembre 2001) : p. 10. Le numéro spécial John Ashbery est intégralement consultable en ligne à http://www.doublechange.com/issue3/ashbery-odb.pdf.

[3] Ibid., pp. 10-1.

[4] Ibid., p. 22.

[5] Dans « En quittant la gare d'Atocha », il est question d'un « faux terreau ». Ici nous pensons au livre comme à un réel terreau qui va « donner ».

[6] « J'expérimentais à l'époque. J'étais mécontent des poèmes que j'écrivais et j'essayais de faire quelque chose de nouveau. […] C'était une tentative de mélanger les cartes avant de les redistribuer. » Louis A. Osti, « The Craft of John Ashbery: An Interview », Confrontation 9 (1974) : p.94. Ma traduction.​​​​​​  

[7] Bruce Andrews « Misrepresentation », In the American Tree, ed. Ron Silliman, Orono, Maine, National Poetry Foundation, 1986, p. 524. Ma traduction.

[8] Notes de John Ashbery incluses dans le présent volume.

[9] Roland Barthes, « Leçon, 1978 », Œuvres complètes, vol. V, Livres, textes, entretiens, 1977-1980, Ed. Eric Marty, Paris, éditions du Seuil, 2002, p. 431.

[10] Ibid.

[11] Op. cit., p. 433.

[12] On peut voir ces études, notamment celles contenues dans les deux carnets du peintre, sur le site de l'agence photographique de la Réunion des Musées Nationaux : http://www.photo.rmn.fr/.

[13] Notes de John Ashbery incluses dans le présent volume.

[14] Larry Rivers lui-même a peint des toiles inspirées de David, comme The Greatest Homosexual (1964) et The Second Greatest Homosexual (1965), toutes deux figurant et défigurant Napoléon. John Shoptaw a aussi remarqué les ressemblances « par anticipation » du tableau inachevé de David avec « les toiles volontairement incomplètes et effacées de de Kooning et de Rivers. » John Shoptaw, op. cit., pp. 44-45.

[15] « Larry Rivers », A Dictionary of Modern and Contemporary Art, eds. Ian Chilvers et John Glaves-Smith, Oxford, Oxford University Press, 2009, p. 602.

[16] Frank O'Hara « On Seeing Larry Rivers' Washington Crossing the Delaware at the Museum of Modern Art », The Collected Poems of Frank O'Hara, ed. Donald Allen, New York, Knopf, 1995 (1971), pp. 233-4. Ma traduction.

[17] « Tennis », Dictionnaire historique de la langue française.

[18] « Balle », Dictionnaire historique de la langue française.

[19] Op. cit., notes de John Ashbery à la présente édition.

[20] « naming things is only the intention / to make things. » Frank O'Hara, « Memorial Day 1950 », op. cit., p. 18.

[21] Non que John Ashbery ait jamais été complaisant à l'égard de cet « ancien régime » qui, pour certains critiques, est représenté par l'anthologie New Poets of England and America publiée en 1957 sous la direction de Robert Pack, Donald Hall et Louis Simpson. L'anthologie rivale, The New American Poetry publiée en 1960 et accordant une importante section à John Ashbery, a marqué l'histoire américaine en présentant à un large public les poètes dits de l'école de New York, ceux de la Beat Generation, ceux regroupés autour de Black Mountain College et de sa revue, ainsi que les poètes de la renaissance de San Francisco et quelques autres sans appartenance particulière. Pour John Ashbery, les années quarante et cinquante ont été celles d'une poésie conventionnelle dénuée d'intérêt. Voir L'Œil de Bœuf, op. cit., p. 20.

[22] Autoportrait dans un miroir convexe, trad. d'Anne Talvaz, Saint-Pierre-la-Vieille, Atelier La Feugraie, 2004. Trois poèmes, trad. de Franck André Jamme et Marie-France Azar, Marseille, Al Dante, 2010.

[23] « Rhapsodie », Poèmes déjeuner, trad. Olivier Brossard et Ron Padgett, Nantes, joca seria, 2010, p. 39.

[24] « Décontenancer », Le Grand Robert.

[25] Roland Barthes, op. cit., p. 430.

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Americans in Paris

There is perhaps something perverse in returning to Paris in a moment of transnational studies that has aimed to diminish the metropolitan center’s hold on critical attention. Yet the case of Americans in Paris in particular offers insight into the gravitational interactions between empires . . .

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After all everybody, that is, everybody who writes is interested in living inside themselves in order to tell what is inside themselves. That is why writers have to have two countries, the one where they belong and the one in which they live really. The second one is romantic, it is separate from themselves, it is not real but it is really there.

The English Victorians were like that about Italy, the early nineteenth century Americans were like that about Spain, the middle nineteenth century Americans were like that about England, my generation the end of the nineteenth century American generation was like that about France. [1]

 

Paris France, the memoir in which Gertrude Stein wrote the words above, was released in 1940, just as German forces began to occupy Stein’s adopted city, Paris. The history of this feeling—the feeling that the city of Paris is somehow "not real" yet "really there," and thus uniquely conducive to the arts of representation—intertwines with another history: of war, imperialism, and global circulation. Stein herself would later become well known for hosting American GIs in her Paris home. The preservation of that home (and its valuable art collection), which the ethnically Jewish Stein shared with her ethnically Jewish lesbian partner Alice B. Toklas, through the Nazi occupation would itself become a point of powerful contention and suspicion. [2] Notwithstanding the absinthe-soaked visions of Woody Allen’s Midnight in Paris (2011), there was never a Paris salon where aesthetic autonomy actually meant autonomy from material life or political history.

            For what it’s worth, Stein was right about her generation, and not just about the writers. As Nancy Green documents in The Other Americans in Paris, before World War II, the "colony" (as it was somewhat ominously called) of American residents in Paris was the largest in the world. [3] Paris is thus a touchstone for understanding the history of Americans abroad: even its exceptionalism as a place of unique liberation (aesthetic, racial, legal, sexual) echoes and reconfigures the United States’s sense of its own exceptionalism. As Brooke Blower has powerfully argued, Paris was a place where you could go to "become American." [4] Alice Kaplan’s recent triple case study of three American women’s sojourns in Paris—Susan Sontag, Jacqueline Kennedy Onassis, and Angela Y. Davis—points to the extended formative influence of Paris as a place where Americans could get a je ne sais quoi that they could get nowhere else, even as the twentieth century was seen as a period of France’s "Americanization," as work by Richard Kuisel, Kristin Ross, and Victoria de Grazia has shown. [5] Studying Americans in Paris sheds new light on the dynamics of U.S. empire, its interface with French decolonization and neocolonialism, and the formation of a variety of transnational non-state actors.

            New and recent work on Americans in Paris treats the "Paris myth" seriously yet critically, bringing the rich theorizations of empire, transnationalism, diaspora, and oceanic studies of the last few decades to bear on erstwhile truisms about the "Lost Generation" and the City of Lights. J. Michelle Coghlan’s "Replotting the Romance of Paris: Americans and the Commune," adapted from her new book Sensational Internationalism, thus draws out Paris’s role as the site of an imagined "frontier of empire" for nineteenth-century Americans, while in "Langston Hughes and the Paris Transfer," T. Denean Sharpley-Whiting foregrounds the texture of life for the African American artists and performers in Paris. [6] Nancy Green, in a lively outtake from her recent monograph, documents how Paris’s reputation as a site of sexual liberation was literalized for Americans seeking a divorce in the 1920s, "When Paris Was Reno."

            Yet as Green argues in The Other Americans in Paris, Americans went to Paris not only to gain access to a foreign culture but also to sell an American vision of modernity. As Emily Burns details in "Belatedness, Artlessness, and American Culture in fin-de-siècle France," a posture of perpetual innocence proved perversely fruitful for Americans in the ancient capital. And as Elisa Capdevila argues in "Expatriates ou Ex-Patriotes," the meaning of an American artist’s journey to Paris shifted substantially during the Cold War years of CIA-funded cultural diplomacy and American anticommunist xenophobia. By the end of the twentieth century, multilayered Franco-American remediations are visible in work like John Ashbery’s Tennis Court Oath, as Olivier Brossard explains in the afterword to his French translation of the famously difficult poem, which at times demands "pas une traduction, mais un retour vers l’original" (not a translation but a return to the original).

            Paris’s very status as a metropolitan center has also made it a generative site of anticolonial organizing, as Michael Goebel argues in an excerpt from his recent Anti-Imperial Metropolis. [7] Similarly, framing Paris as the "capital of the Black Atlantic," Jeremy Braddock and Jonathan Eburne situate twentieth-century African American expatriates in Paris in relation to other African diasporic networks that found crucial resources and meeting-places in Paris. There is perhaps something perverse in returning to Paris in a moment of transnational studies that has aimed to diminish the metropolitan center’s hold on critical attention. Yet the case of Americans in Paris in particular offers insight into the gravitational interactions between empires, and what Green calls their "élite migration" suggests a prehistory for today’s global cities—New York, London, Singapore, Dubai—and the transnational actors that increasingly dominate the global stage.

Notes

[1] Gertrude Stein, Paris France: Personal Recollections (New York: Liveright, 1970), 2.

[2] See Alan Dershowitz, “Suppressing Ugly Truth for Beautiful Art,” The Huffington Post, May 1, 2012; Barbara Will, Unlikely Collaboration: Gertrude Stein, Bernard Faÿ, and the Vichy Dilemma, Gender and Culture (New York: Columbia University Press, 2011); Janet Malcolm, Two Lives: Gertrude and Alice (New Haven: Yale University Press, 2007); Charles Bernstein, ed., “Gertrude Stein’s War Years: Setting the Record Straight,” in Jacket2, 2012.

[3] Nancy L. Green, The Other Americans in Paris: Businessmen, Countesses, Wayward Youth, 1880-1941 (Chicago: The University of Chicago Press, 2014), 7.

[4] Brooke Lindy Blower, Becoming Americans in Paris: Transatlantic Politics and Culture between the World Wars (New York: Oxford University Press, 2011).

[5] Alice Yaeger Kaplan, Dreaming in French: The Paris Years of Jacqueline Bouvier Kennedy, Susan Sontag, and Angela Davis (Chicago: University of Chicago Press, 2012); Richard F. Kuisel, Seducing the French: The Dilemma of Americanization (Berkeley and Los Angeles, California: University of California Press, 1993); Richard F. Kuisel, The French Way: How France Embraced and Rejected American Values and Power (Princeton, N.J: Princeton University Press, 2012); Kristin Ross, Fast Cars, Clean Bodies: Decolonization and the Reordering of French Culture (Cambridge, Mass: MIT Press, 1995); Andrew Ross and Kristin Ross, eds., Anti-Americanism (New York ; London: New York University Press, 2004); Victoria De Grazia, Irresistible Empire: America’s Advance through Twentieth-Century Europe (Cambridge, Mass: Belknap Press of Harvard University Press, 2005).

[6] J. Michelle Coghlan, Sensational Internationalism (Edinburgh: Edinburgh University Press, 2016). Sharpley-Whiting is the author of the recent CHOICE Outstanding Academic Title Bricktop's Paris: African American Women in Paris between the Two World Wars (Albany: SUNY Press, 2015).

[7] Michael Goebel, Anti-Imperial Metropolis: Interwar Paris and the Seeds of Third World Nationalism. Cambridge: Cambridge University Press, 2015.

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